Innovation ouverte de défense : pourquoi faire ?

Massis Sirapian
3 min readNov 30, 2018
Le laboratoire de Q, une référence indépassable en termes d’innovation ouverte et de détournement de technologies civiles

Comme toute grande organisation, le ministère des Armées excelle dans l’innovation au sens de la recherche & développement de long terme.

By Peter Schulz — Own work

Cependant, les innovations d’usage, les détournements, agrégats ou assemblages de technologies échappent aux processus actuels.

Par exemple, les robots développés par Aldebaran en 2006 (société française à l’époque), n’ont pas été détectés comme d’intérêt pour la défense : non prévus dans les feuilles de route technologiques, ces produits étaient par ailleurs catalogués comme grand public. Un éventuel détournement militaire de telles technologies apparaît en 2018 comme évident ; entre temps, la société a été rachetée en 2012 par le japonais Softbank.

Cet exemple est assez parlant : nous ne voyons pas ces opportunités car à l’heure actuelle, nous ne savons pas les détecter, les suivre et les capter dans des échelles de temps compatibles avec leur développement. Cette détection est d’autant plus difficile qu’elles ne se destinent pas toujours initialement à l’univers de la défense.

Pas assez rapide, petit scarabée

Si on prend l’image du jeu “1,2,3…soleil”, nous nous sommes habitués à nous retourner à un rythme qui semblait convenable jusqu’ici pour observer le champ des innovations.

Seulement, ce rythme n’est plus adapté à la dynamique de développement des startups. Nous passons à côté sans les voir à temps pour en bénéficier dans des conditions optimales ou pour s’en prémunir. Des joueurs auront pu apparaître et disparaître entre deux observations. D’autres auront couru tellement rapidement qu’ils seront irrattrapables.

Photo by Jarek Tuszyński — Le secret pour durer à ce jeu-là est de se retourner plus fréquemment

Chasse ou pêche ?

Par ailleurs, l’ensemble des dispositifs actuels d’innovation ouverte du ministère attire principalement les innovateurs qui connaissent ou veulent travailler avec la Défense (approche inbound ou « pêche »). Par exemple, le dispositif de subvention RAPID est explicitement une subvention destinée aux PME proposant une application duale (civile et militaire). Si nous ne voulons pas nous limiter à la captation d’innovations destinées à la Défense, il est indispensable de développer un nouvel outil, au sein de la toute nouvelle Agence de l’innovation de Défense, permettant d’aller chercher, suivre, voire influencer le développement de nouveaux acteurs moins habituels (approche outbound ou « chasse ») en dehors de l’écosystème de Défense. Il s’agit de la cellule d’innovation ouverte, dont j’ai la charge.

La pêche et la chasse, deux pratiques parfois conciliables — Photo by Bill Hansen on Unsplash

En disposant d’une vision exhaustive des acteurs tout en ayant à l’esprit les besoins à venir, il faudra encore acculturer le ministère des Armées à cette logique d’opportunité, voire de détournement d’innovations parfois radicalement éloignées de l’environnement de Défense. Cela passera par un cycle continu et régulier de maquettage et démonstration. Une illustration récente : en faisant travailler des étudiants d’une école de design sur le fantassin du futur en 2018, il a été possible de faire émerger des concepts parfois futuristes, d’autres plus réalistes, que les ingénieurs ou les officiers de l’armée de Terre n’auraient jamais imaginé.

En résumé, pour réussir cette mission de veille, de détection, de suivi et de captations d’innovations d’usage ou d’assemblage, dont certaines ne seront pas initialement destinées à la Défense, il est grand temps pour les grandes organisations telles qu’un Ministère de tenir compte de la nature radicalement différente des startups par rapport aux acteurs économiques historiques. Il est notamment urgent de s’adapter au mode de développement spécifique d’une startup (par rapport à une PME par exemple) mais aussi d’enrichir l’évaluation de la maturité d’une innovation en ne se limitant pas à la seule maturité technologique (la fameuse échelle des TRL conçue en 1974 par la NASA), aujourd’hui trop restrictive.

Je détaillerai ce que nous proposons à l’Agence de l’innovation de défense, sur ces points et d’autres, dans des billets à venir.

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Massis Sirapian

Head of the Open Innovation departement of the French Defense Innovation Agency